Si vous m'aviez demandé avant de partir quels étaient selon moi les moments forts de mon voyage, le transsibérien aurait assurément fait parti de mes réponses.


Petit rappel historique

Le transsibérien est une ligne de chemin de fer crée il y a 111 ans et qui relie Moscou à Vladivostok sur 9 288 kilomètres. Elle est souvent confondue avec les trains qui y circulent, qui portent pourtant des noms différents selon les destinations qu'ils desservent. La ligne du Transsibérien traverse plus de 990 gares, mais Kazan ne figure pas sur la liste des villes reliés par cette ligne. Il faut donc emprunter l'Oural si on veut être précis. Pour aller en Mongolie, il faut emprunter le transmongolien; pour la Chine, le transmandchourien.


carte des lignes les plus connues


Les trains comportent des voitures :

  • de première classe, avec deux couchettes par compartiment dénommées spalny vagon (SV) ;
  • de seconde classe, avec quatre couchettes par compartiment appelées koupé (K);
  • de troisième classe, avec quatre couchettes par compartiment non fermé (avec des couchettes dans le couloir), appelées platskart : 54 places par wagon.


Le transsibérien... figure incontournable de la Russie, train centenaire, train mythique, train historique. Et bien me voici dans l'histoire, ou plutôt dans mon histoire.


Après 8 jours assez remplis à Moscou, il est temps pour moi de partir en dehors de cette ville, et visiter la Russie plus "profonde", avec une certaine hâte, car au bout du train se trouve un autre moment fort : le lac Baïkal. 


le lac Baikal quand il gèle. Malheureusement, pas pour moi en novembre snif snif.


Revenons quelques jours auparavant. Le vendredi 27 octobre, je décide enfin à me motiver pour aller acheter mes billets de train. Je n'ai pas voulu passer par une agence, car je ne supporte pas payer un service que je peux faire moi même. J'ai entendu que les bornes d'achat de billets pouvaient être mises en anglais, c'est parfait !


N'importe quel gare peut délivrer des billets, je me rends à la plus proche de là où je dors : la gare Kurskiy de Moscou. Bonne nouvelle, il y a peu de monde aux bornes, et j'en ai pour un moment.


C'est parti pour les achats


Mes contraintes

  • Aller à Kazan (on me l'a vivement conseillé, donc j'ai changé mes plans).
  • Aller à Irkoutsk pour le lac Baïkal, et y passer une bonne semaine pour aller aux îles Olkhon (îles sur le lac).
  • Voir quelques villes au passage (type Novossibirk, Krasnoyarsk).
  • Partir de Russie pour le Kazahkstan avant le 19 novembre, date de la fin de mon visa d'un mois (sinon, le goulag m'attend probablement !).

Mes objectifs

  • Faire au moins un long trajet pour vivre l'aventure au maximum.
  • Se laisser au moins un jour de sécurité.
  • Ne pas perdre d'affaires.
  • Optimiser le budget.


Toutes ses contraintes réunies, j'arrive à dessiner un trajet, au prix de cinq heures de réflexion intense.

  • Moscou - Kazan, Plaskart, 29.10.2017 18h50 - 30.10.2017 7h39, soit 13h, 900 roubles, 14€
  • Kazan - Oulan Oude, Plaskart, 2.11.2017 2h03 - 5.11.2017 11h30, soit 76h, 3428 roubles, 50€
  • Oulan Oude - Irkoutsk (lac Baikal), Plaskart, 6.11.2017, 10h49 - 6.11.2017, 18h50, soit 8h, 900 roubles, 14€
  • Irkoutsk - Krasnoyarsk, Koupé, 12.11.2017, 22h50- 13.11.2017, 18h50, soit 19h, 2100 roubles, 30€
  • Krasnoyarsk - Novossibirk, Plaskart, 15.11.2017, 10h - 15.11.2017, 21h, soit 11h, 900 roubles, 14€
  • Novossibirk - Omsk (2h de la frontière Kazakhe), Plaskart, 17.11.2017, 11h - 17.11.2017, 19h soit 8h, 800 roubles, 12€
  • Un jour de sécurité au cas où.

Soit un total de 134€, pour 135h de train et plusieurs milliers de kilomètres, je suis assez content. De plus, je teste le plaskart et le koupé sur un trajet, histoire de comparer :)

Celui qui connait toutes les villes que j'ai citées peut poster un petit commentaire, cela prouvera sa culture russe (sauf toi Sofja, c'est triché :p)


Note cependant que ma carte bancaire a décidé de ne pas accepter le paiement du sixième billet sur les bornes (pour des raisons inconnues). Voulant absolument finir cette histoire de train, je décide d'aller à un guichet pour payer en cash. Je sais d'avance que la personne ne parlera pas anglais, mais je prends le soin d'écrire sur un papier toutes les informations nécessaires : villes, dates, classe, prix.


Evidemment, comme toujours dans ces moments, le prix qu'elle me demande n'est pas celui indiqué. S'en suit une conversation lunaire entre elle qui déblatère des centaines de phrases en russe dont je ne comprends pas un mot, et moi, la petite goutte de sueur sur le front, essayant de me faire comprendre grâce à Google Translate.

Elle me montre son écran, la date était fausse... Le prix est le bon quand elle met la bonne date, ouf. Cependant, elle m'explique que je dois aller au guichet central pour expliquer pourquoi ma carte m'a pas marché aux bornes (enfin je crois...). Cette partie sera brève. Personne ne comprend vraiment pourquoi je suis au guichet central, et j'abandonne vite, j'ai mon ticket, c'est l'essentiel !


Me voici alors avec mes 6 tickets pour mes 20 jours restants en Russie. Je ne suis pas peu fier.


Cependant, cette fierté va s'avérer de courte durée. Je me rends compte qu'il y a deux "heures de départ" sur mon billet de train, et j'essaie de comprendre quelle heure est la bonne.


Réponse : "les deux" :) En effet, l'heure indiquée sur les bornes lors de l'achats est l'heure de Moscou. L'heure du billet est l'heure locale. Et comme il y a 5 heures de décalage entre Moscou et Irkoutsk, 4 de mes billets ne sont pas aux heures que j'aurai souhaité, mais 5 heures après...


Après réflexion, je me décide à aller échanger 3 billets seulement, moyennant 3€ d'échange pour chaque ticket. Après avoir sollicité l'aide d'un russe rencontré à Moscou (Vlad, un russe exceptionnel), et passé une heure à la gare, j'arrive à changer mes billets, heureusement des trains au horaires similaires à ceux souhaités étaient disponibles et pas beaucoup plus cher !


C'est ça l'aventure comme diront certains ! Ainsi, j'ai mes nouveaux billets. 10€ "l'erreur", c'est pas cher payé !


Il est 18h quand j'arrive à la gare le dimanche ! L'excitation monte petit à petit. Vlad me raconte les pires histoires du transsibérien et de Russie :

- Russe bourré qui provoque des bagarres.

- Homme/Femme qui vole les valises quand tu pars aux toilettes.

- Vodka avec somnifère à l'intérieur.

- Gaz pendant que tu dors.

- Omsk, capitale de la drogue, avec un mort par jour du à la délinquance.


Bref, mon ami est légèrement parano je pense : "Welcome to Russia" comme il dit régulièrement.

Merci Vlad !


A la gare cependant, je ne peux m'empêcher de sortir mon appareil. L'excitation est totale, je prends le train dans 5 minutes. Je monte dans le train, et cherche ma place : Je serai donc en hauteur, dans le couloir, près des toilettes, la place idéale !


ma magnifique place de mon premier trajet


Le plaskart, la 3ième classe, est un wagon de 4m sur 20m où 54 personnes vivent à un instant donné. Comme dirait mon guide de voyage, on aime ou on déteste. Pour ma part, je suis plutôt les grand yeux ouverts, incapables de vraiment savoir si j'aime ou non.


A l'heure où j'écris, j'ai effectué deux trajets en transsibérien. Moscou-Kazan, puis Kazan-Oulan Oude. Mes deux trajets ont été relativement différents.


1. Le premier trajet est plutôt la découverte.

 

Je regarde le wagon dans tous les sens, puis je descends sur le lit sous lequel je dors, qui peut se transformer en table + 2 chaises.


Pendant mon trajet, ma voisine curieuse m'aborde pour me demander si je suis touriste. Je lui réponds que je visite la Russie pendant un mois. Cependant, le manque de vocabulaire russe m'empêche de vraiment m'exprimer. J'arrive à converser grâce à Google Traduction. J'écris en français, traduit en russe, elle me répond en écrivant du russe, traduit en français. 

Cette conversation atypique d'une heure me permet d'infirmer certains préjugés que l'on a en France. Croyez moi, les russes adorent les étrangers, et sont très aimables. J'ai pu comprendre que la dame retournait au Kazakhstan, après avoir visité sa fille qui travaille à Moscou. Elle m'a aussi montré des photos du Komsomol, le parti communiste russe crée par Lénine. Ah oui tiens, la révolution d'octobre, c'était il y a pile 100 ans :) Je n'ai pas vu grand chose à Moscou pour l'occasion malheureusement.

Il est minuit, je décide d'aller me coucher.


1h21 : tout le wagon se réveille. Un mec hurle dans le train. Plusieurs personnes se lèvent et parlent avec lui en russe. Je ne comprends pas grand chose. Je regarde ma voisine en dessous et lui demande "Problema?". Elle me répond d'un geste de la main que la personne est folle, et qu'elle va partir du wagon. Bon, rien de grave à priori.

1h29 : le russe revient, et se remet à hurler. Deux russes lèvent le ton. J'entends alors une femme crier. Le temps de me retourner, le russe est contrôlé par deux autres personnes, et le sortent du wagon. Je pense que le russe a levé la main sur la fille. 


A ce moment, je repense à mon ami Vlad "Welcome to Russia" Hahaha. Je me rendors, le russe ne reviendra plus.


il fait bon dans le wagon ^^

...

...

zzzz

...

...

7h00 : La responsable du wagon me réveille (mieux qu'un réveil). J'arrive à Kazan dans 30 min. Je prends 3 jours pour visiter la capitale du Tatarstan.


Les photos parlent d'elle même. J'ai beaucoup aimé la ville, son modernisme, les gens (les tatars, d'origine turque), la nourriture. Kazan est riche, cela se voit, on est loin du cliché de la ville soviétique. Je recommande hautement de visiter la ville.


Ces 3 jours à Kazan, m'ont aussi permis de recharger les batteries, et bien me préparer pour le second trajet, plus long (cf ma vidéo de préparation). 

Ils me permettent aussi de dire au revoir à mon ami Thomas, rencontré à Riga, puis revu à Talinn, Moscou et Kazan. Ce mec va à Hong Kong en train, est un brillant photographe en plus d'etre une belle personne. Bon courage à toi, et à bientot, c'est certain :)


Poka Poka l'ami


2. Il est une heure du matin le mardi premier novembre. Soit techniquement le deux novembre. Mon deuxième train est dans une heure. Il est temps d'aller à la gare. 


76h. 

...

...

Whoa...

...

...

Aurais je imaginé il y a quelques années passer 76h dans un train, dans un mini lit qui dépasse à peine 1.80m de long, reclus avec 50 autres personnes qui ne parlent pas anglais?

...

Assurément non.


Ma tête me fait passer différentes formes de messages :

  • Fais attention à tes affaires !
  • Quelle aventure extraordinaire !
  • Mec, t'es fou, qu'est ce qui ta pris?
  • Ouais t'es ouf, c'est ça qu'est bon !
  • Mais, tu vas jamais dormir !
  • Fais attention aux russes qui boivent de la vodka !
  • Allez, un verre c'est rien !
  • Profite !


Je tiens à avertir mes lecteurs. Dans mon histoire, je ne bois pas de Vodka, ni joue aux cartes avec des russes comme j'aurai potentiellement pensé le faire. L'histoire est toute autre.


Mon ressenti dans le train pendant ces heures est d'être en sécurité. La plupart des gens voyagent en famille, et font des 4 lits une petite maison l'espace de quelques heures.


Mon wagon, le numéro 17, est composé à moitié de jeunes filles (une classe certainement), de familles, des personnes plus ou moins âgées, et de quelques adolescents. Point de Russe tatoué sorti de prison, point de Russe qui hurle la nuit cette fois.


Mes voisins sont une homme avec sa petite fille de 6 ans, et deux copines d'une cinquantaine d'années.


comme à la maison


Deuxième ressenti que je ressens : la frustration de ne pouvoir parler couramment russe. J'aurai aimé pouvoir comprendre ce que font les gens. Ce qui les amènent à partir plusieurs jours dans un train. Peut être l'aspect économique n'est pas le seul critère.


Alors j'observe. J'écris

Je pense beaucoup.



Néanmoins, passé cette petit frustration, je comprends alors, lors du deuxième jour, que l'expérience du transsibérien est en fait tout autre.


Le transsibérien, c'est un carrefour de la vie où pendant plusieurs heures, des personnes que rien n'unit vont se retrouver ensemble. Et même sans se parler, même sans rien partager, un lien se forge inéluctablement.


Aurais-je imaginé être un peu triste en voyant ce père de famille avec sa petite fille partir du wagon à Krasnoyarsk, après 48 heures de voyage côte à côte, alors que je ne leur ai pas parlé? Aurais je pensé avoir un au revoir chaleureux de mes deux voisines, qui s’arrêtaient à Irkoutsk, 68h après Kazan?


Le transsibérien, c'est d'abord une expérience humaine, indépendante de la langue, de la couleur de peau, du sexe.


Mon transibérien, c'est une image de la vie, où pendant 76h, j'ai pu :


  • entendre Charles Aznavour au réveil, car ma voisine aimait bien; 
  • entendre les jeunes filles rigolées et chantées, comme portées par le son des vacances; 
  • voir ma voisine me donner une barre de chocolat après 48h; 
  • voir des gens venir et repartir en l'espace de quelques heures, pendant mon sommeil, m'en rendant à peine compte;
  • discuter quelques minutes en russe; ainsi qu'en anglais avec une jeune étudiante l'espace de deux heures;
  • me réveiller un matin et comprendre que la Bouratie est Russe, mais où 80% des gens sont d'origines mongoles.


Mon transsibérien, c'est juste la vie en fait :) La Vodka et les cartes en moins.


J'arrive à Oulan Oude à 11h29 le dimanche 5 novembre. 76 f***ing hours later !

Fatigué, car les lits du train sont quelques peu sommaires; 

Sale, car 3 jours sans douche, cela ne pardonne pas; 

Mais heureux, et avec le sentiment d'avoir vécu une expérience. Mon expérience.


Bref. J'ai fait le transsibérien.


(** Xavier **)


Et en prime, il fait beau quand j'arrive !